Entretien
Éthique et usage de l'intelligence artificielle
Information de qualité et liberté de la presse

Mobiliser l’IA pour lutter contre la désinformation dans la région MENA

23 février 2024
Entretien

Entretien avec un porteur de projet

3 questions à Theodore Caponis, chef de projet à Dalil

 

Dans un paysage de l’information numérique en constante évolution, Dalil, l'un des projets sélectionnés lors du Forum 2023 pour recevoir un an d'accompagnement personnalisé, s'est imposée comme un acteur essentiel dans la lutte contre la désinformation dans la région MENA (Moyen Orient et Afrique du Nord). Dans cet entretien avec Theodore Caponis, découvrez l'approche innovante de Dalil en matière de vérification des faits et de l’information.

 

Comment DALIL contribue-t-il à relever les défis de la désinformation à l'ère du numérique, et comment envisagez-vous son impact sur la promotion d'un discours public plus informé et plus robuste dans la région MENA ?

Theodore Caponis : Au cours des 20 dernières années, l'essor des réseaux sociaux et les progrès technologiques des smartphones ont accéléré l’expansion du journalisme citoyen, pour le meilleur et pour le pire. Aujourd'hui, l'essor des contenus générés par l'IA nécessite un développement similaire d’une vérification des faits citoyenne. Chez Dalil, nous nous attaquons à la complexité croissante de la désinformation en rendant plus facile, plus rapide et plus intuitif le suivi de l'actualité et la détection de fausses nouvelles. Ayant, jusqu’à présent, principalement travaillé avec des vérificateurs de faits de la région MENA, nous développons la plateforme de manière à ce qu'elle puisse également servir l'écosystème des médias dans son ensemble, des producteurs de contenu aux consommateurs en passant par les décideurs politiques.

Theodore Caponis informant l'ancienne première ministre de Nouvelle-Zélande Jacinda Ardern sur la plateforme lors du FPP 2023. Photo crédit: © Ian Smith.

Actuellement, la modération de contenu sur les réseaux sociaux n'est pas très bien adaptée à la vérification des faits en langue arabe, la plupart des outils et des algorithmes étant conçus pour les contenus en anglais. Comment l'intelligence artificielle vous aide-t-elle à combler cet écart ? Pouvez-vous donner des exemples de la manière dont l'IA a amélioré l'efficacité et l'impact de la plateforme dans la lutte contre la désinformation en langue arabe ?

TC : Il est vrai que l'anglais est le point fort des modèles d'IA actuels, c'est pourquoi nous avons développé nos propres modèles et les avons formés à la langue arabe. En "comprenant" l'arabe, ils permettent d'accélérer la surveillance grâce à la récupération de sources d'information et au regroupement de contenu par sujet afin d’obtenir une vue d'ensemble des tendances. Ils améliorent également les capacités de vérification en permettant aux utilisateurs de mesurer le niveau de subjectivité d'un texte donné et la mesure dans laquelle il déploie des procédés rhétoriques visant à influencer les lecteurs. La prochaine étape sera d’évoluer vers des fonctionnalités indépendantes de la langue. Jusqu'à présent, les réactions ont été encourageantes et la base d'utilisateurs étant des professionnels des médias et de la vérification des faits est passée à plus de 200 en moins d'un an. Nous savons qu'il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir, mais nous savons aussi que nous pouvons y arriver - et la participation au Forum de Paris sur la paix a été extrêmement bénéfique à cet égard.

 

Vous avez publié un rapport sur la consommation d’information au Liban sur ce qu’il se passe à Gaza. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont cette couverture médiatique est consommée au Liban et comment la vérification des faits peut être utile dans ce contexte ?

TC : Le désordre de l'information auquel nous assistons depuis le 7 octobre est une caractéristique typique d’un contexte de guerre. Aujourd'hui, il est tout simplement plus facile de créer, de tomber dans le panneau et de partager des fausses informations. Les Libanais suivent de près les violences à Gaza - probablement plus que le reste du monde, car elles touchent également leur pays. Notre enquête a montré que, de tous les médias, les personnes interrogées font le plus confiance à la couverture sur les réseaux, tout en étant très peu sensibilisés à la vérification des faits. Dans ce contexte, les vérificateurs de faits jouent un rôle essentiel pour contrer les faux récits, mais le désordre de l'information concerne tout le monde, et chacun a un rôle à jouer. Notre conseil : si quelque chose semble peu croyable, il y a de fortes chances que ce soit le cas. Faites preuve de jugement critique, vérifiez avant de partager, et familiarisez-vous avec la gamme d'outils d'analyse disponibles en ligne. La création d'un compte sur Dalil serait un premier pas dans ce sens.

 

Theodore Caponis est associé fondateur de Siren Analytics, chef de projet du laboratoire d'écoute et d'analyse de la désinformation (Dalil)

 

En savoir plus sur Dalil